Les professionnels de la santé éprouvent tous les maux, font part de leur dépit et de leurs désirs : « Il ne faut pas s’acharner sur quelqu’un dont le sort est compromis».
D’abord, une journée de colère, hier mardi 8 décembre 2020 pour dénoncer les dépassements dans les institutions hospitalières, suite au décès du Dr Badreddine Aloui au sein même de l’hôpital de Jendouba, mort dans des conditions étranges et inacceptables. Ensuite, une grève ouverte prévue le 17 décembre courant pour des raisons générales, ce qui coïncide avec le dixième anniversaire de la révolution du 14 janvier 2011 qui a débuté un mois auparavant dans l’esprit de certains révolutionnaires. Déjà… Cela ne suffit pas pour décrire la crise, étant donné que ce n’est plus un secret de constater que les hôpitaux vivotent et ne font pas partie des priorités des décideurs qui ont « d’autres chats à fouetter », visiblement… La politique de l’autruche continue d’être la norme en Tunisie lorsqu’on ne voit que ce que l’on veut voir. Il ne s’agit pas de « noyer le poisson dans l’eau » mais seulement de remettre certaines choses à leur place et « rendre à César ce qui est à César » et l’honneur des médecins. Car il y va de l’avenir de notre système de santé qui agonise, perd de son lustre d’antan après avoir été la fierté des Tunisiens. Une élite qui a plié bagage notamment, parmi les plus jeunes, vers l’Allemagne et la France depuis trois années au moins et continue d’y songer pour ceux qui sont encore cloîtrés au pays, quasiment la mort dans l’âme. Ce qui a touché leur défunt collègue démontre a lui seul la décadence du système de santé publique.
Quelles sont leurs conditions de travail ? Comment voient-ils l’avenir des médecins en Tunisie ? Salaires indécents, faibles primes deux fois par an et tout un cortège de mauvaises graines décorent le sombre tableau…
Une visite à l’hôpital psychiatrique « Mongi Ben Hmida » – La Rabta, lundi 7 décembre 2020 annonce déjà la panoplie des problèmes dont pâtissent les employés au quotidien, tant le malaise est grand. Des infirmiers, des instrumentistes et des ouvriers parlent d’une même voix pour critiquer les conditions de travail accrues notamment par la menace épidémiologique due au coronavirus qui sévit dans le pays. A l’entrée de l’hôpital, on a pu s’enquérir de l’état d’esprit et de l’ambiance morose que vivent les professionnels de la santé. Extraits.
Témoignages édifiants
A.R., syndicaliste des professionnels de la santé et instrumentiste au sein de l’hôpital monte au créneau pour dénoncer la dégradation et la mort lente du système de santé de façon générale en Tunisie. Il s’insurge contre le manque d’intérêt pour ce qui fait la force du pays, la santé des citoyens au détriment d’autres secteurs pour des raisons matérielles ou politiques avant de pleurer la mort tragique de son collègue : « C’est un accident très grave qui prouve le manque d’entretien des équipements médicaux et de maintenance même dans les Centres hospitalo-universitaires », reconnaît-il. L’absence de recrutements depuis 2016 fait partie des griefs qu’on nourrit contre la politique de l’Etat qui fait « preuve d’ignorance » ajoute-t-il. Pour autant, il propose des solutions ingénieuses comme le financement participatif demandé au chef du gouvernement, M. Hichem Mechichi en concertation avec la société civile.
M.B., anesthésiste décrit une situation catastrophique où il n’y a pas de décisions importantes et avance : « Il n’y a que des actions superficielles pour avancer sans toucher le fond et le cœur du problème ». Un infirmier gréviste donne un autre son de cloche : « On ne demande pas de l’argent concrètement mais seulement que chacun ait son droit. Partout dans le monde, la santé est le pilier du pays sauf en Tunisie où elle est en reste ». Il estime que le secteur « mange son pain noir » et va couler davantage si rien n’est fait pour remédier à la situation et empêcher la fuite des cerveaux vers des horizons plus clairs.
Un blogueur a publié une vidéo très virale suite au décès de Dr Aloui dans la cage d’ascenseur la semaine passée, dans laquelle il dénonce avec force la situation du système de santé en Tunisie qui « après avoir brisé l’avenir des jeunes est en train de briser les jeunes eux-mêmes »…